Il y a des nuits où j'ai le malheur de ne pas m'endormir tout à fait malgré un sommeil lourd et irrésistible. Je lutte contre la pesanteur des paupières, car ce que je redoute, c'est d'avoir un pied dans le monde réel, un pied dans mon rêve, je sens le contact du mur froid et la chaleur de la couverture mais je suis figée dans un rêve dont je n'arrive pas à saisir les limites. C'est une prison puissante et sur-mesure. Alors j'agis de façon désordonnée et irréfléchie : mais ce qui compte, c'est d'agir. J'allume ma lampe de chevet, j'agite mes membres comme une torturée, je me relève avec peine, j'ouvre un livre mais je ne lis pas : mes yeux ne font que s'accrocher à ce qui peut me sembler encore réel ; ce sont des preuves rassurantes. Il y a des nuits où, comme une condamnée qui sait qu'elle va mourir, je fixe avec conviction et désespoir l'entourage matériel m'apportant lui seul, la preuve de mon existence dans le réel. J'ai le sommeil inquiet. Dans un rêve, j'ai l'impression de me débattre dans un monde absurde dont je ne sortirai pas indemme. J'aime apporter un sens à mes mouvements, une réalité au monde dans lequel j'évolue. Il y a des nuits où je ne fais qu'épier les voisins pour me tenir éveillée. Une nuit, j'ai réalisé qu'en fait j'étais encore dans un rêve, que cette pièce n'a pas les proportions exactes, que ce lit ne me semble pas familier : c'est une pièce jumelle à la mienne mais je suis dans un milieu étranger. Si je traverse cette pièce imaginaire, je rencontrerai un fantôme, où l'ombre chinoise de Modiano m'épiant à travers une porte. A ce moment là, je comprends que mes nuits seraient moins intenses, s'il y avait une réalité vivante dans mon lit, à côté : d'où l'intérêt de dormir avec ma mère. Sinon, j'affronterais une nuit comme j'affronterais ma mort. Sauf qu'à ce moment là, ce n'est pas le réveil qui, le matin, vaincra.
Oblivion le 08.01.06 à 12:02 dans Augenblick
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