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Fin des transactions marchandes

I'd just be the catcher in the rye

Je me brosse les dents, et je me dis que je manque de hardiesse dans ma vie. C'est à dire, vous comprenez, je me brosse les dents comme si j'étais morte autrefois et que je faisais une brève apparition dans un livre fantastique à la Stephen King trois cents ans après. Ou que, souhaitant revoir un morceau d'un film, vous appuyez sur une touche de télécommande permettant de ralentir les images. Dans ses images au ralenti, j'ai l'air flou, et surtout, je n'ai pas l'air convaincante quand je me brosse les dents. Quand on me voit, on ne peut que s'apercevoir : "Tiens, c'est Sophie dans la salle de bains qui se brosse les dents", et c'est tout. C'est désespérant : je m'observe soigneusement dans la glace, et je ne peux pas dire que les acteurs dans les films se brossent les dents comme moi. Ils y mettent plus de punch, ils sont communicatifs dans leurs mouvements : on a envie de filer tout de suite à notre tour à la salle de bain et les imiter quand on les voit faire. Cela vient sans doute qu'à tous les coups, quand on me voit on s'exclame : "Tiens, tu es toujours la même Sophie ! ça alors, tu n'as pas changé ! C'est dingue, etc". Julien même, l'autre après-midi ne disait-il pas : "Bon, tu ne peux pas faire une autre tête, tu as toujours la même tête, etc." Les gens qui se montrent intéressants quand ils se brossent les dents, montrent pas ailleurs qu'ils sont capables d'évoluer, car on voit bien qu' ils ne se brossent pas les dents de façon primitive, mais sont passés à un autre stade plus personnifié. Me demander de changer d'allure quand je marche, c'est déjà considérable. Je ne suis pas le type de personne qui sera, mais qui est déjà. Dans tous mes faits et gestes, il y a un côté primitif, un côté trop-à-l'aise, un côté bébé, de celle qui vit en autarcie et qu'on peut ne pas voir pendant vingt ans et ne changera pourtant pas après toutes ces années. J'ai les mêmes méthodes de pensée, le même mode de vie, les mêmes idées fixes, les mêmes répulsions qu'il y a cinq ans. Ce qu'il me faut, c'est je pense un changement radical qui me pousse à aller de l'avant, à évoluer sous toutes les formes, qui fasse une rupture mais je conjecture que même après il y aura une sorte de continuité qui me poussera à me réadapter trop facilement aux nouvelles méthodes, de sorte que j'ai fatalement un instinct animal intérieur qui ne peut que me faire vivre dans un cadre défini, et m'obliger à me brosser les dents comme un quidam qui s'est mal réveillé le matin.

Oblivion le 30.08.05 à 00:42 dans Augenblick
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