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Fin des transactions marchandes

Ma mère me dit : "Tu sais l'année prochaine à la fac, il faudra t'habiller un peu plus, être un peu plus féminine, pour entrer dans le moule. Les gens commencent à devenir très élégants à la fac, tu sais. Même les garçons, qui portent des pulls et des manteaux avec des vrais boutons, des écharpes qui ne sont plus à carreaux comme au lycée, etc." J'ai la même impression qu'au bahut, au CDI, où j'ai entendu Jérémy dire un jour à son copain, un S. : "Non mais attends tu vas à la Sorbonne pour draguer toi ? Ouais c'est vrai y'a plein de jolies filles mais en même temps elles aiment les gentlemans, pas les racailles dans ton genre. - En attendant dans c'lycée y'a des terminales L. J'aime bien les TL, elles sont jolies les TL" Une autre fois, à la cantine, j'ai entendu : "Oh là là j'ai pas envie de tomber en prépa scientifique, les mecs ont tous des têtes carrées là-bas, mais que dire les littéraires c'est mieux ? Dis, tu crois que les littéraires c'est mieux ?" J'en ressors toujours avec la même impression : même l'élève le plus sérieux va à la fac ou en prépa avec une étincelle d'espoir, même contenue, d'en tirer une petite historiette amoureuse. Bien sûr, on y étudie, mais si on faisait que ça ça serait l'enfer de Sartre ou de Maldoror. On devrait nous désigner dans telle ou telle fac, ou dans telle ou telle prépa, pas en fonction de notre profil intellectuel mais en fonction de nos voeux romantiques et de notre profil physique. ça devrait marcher comme sur les sites rencontres : "Mec 1m87 cherche fille plus petite que lui, pas trop grasse, pas guindée mais sympathique et libérée mais pas jusqu'au point d'être révolutionnaire, ayant lu Racine et sachant réciter Baudelaire." et paf, son voeu correspondant plus au profil littéraire, le voilà envoyé à Panthéon Sorbonne. Puisqu'on a voté pour la droite, Chirac nous doit bien ça. On doit avoir voté pour plus de couples d'amoureux sur le quai des brumes, de languissantes aventures sur fond de fac type Hélène et les garçons, des partages de délires insolites entre les caféts, les couloirs tintés d'inquiétante étrangeté, et les chambres des internes. Ou pourquoi pas, des polycopiés sur Schopenhauer et Maupassant nageant dans la marée montante des mégots oubliés. Car la sensualité réelle, c'est d'abord reproduire le geste de Sartre, photo cigare au coin du bec en couverture du magazine littéraire du dossier consacré à lui, même si on ne sera jamais capable de faire des ronds de fumée. Là, on pourra dire qu'on est élégants, car l'élégance c'est quoi ? L'élégance c'est un parti pris de la jeunesse intellectuelle ; c'est une attitude trafiquée et un jeu des influences, donc c'est l'habit, d'abord, mais l'habit ne fait pas le gentleman. Il faut une démarche, des principes, un vocabulaire esthétique et insondable dans le choix des mots, des gestes intimidants, des réactions et un charisme qui nous dispenseraient d'argumenter. Et la fac, c'est la meilleure école de l'élégance.

Oblivion le 05.02.06 à 13:09 dans Augenblick
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Commentaires

Tu veux dire que Sartre est un sensuel ? En tout cas, quelle élégance, dans le style !

Citoyen de Bosnie Herzégovine - 05.02.06 à 13:38 - # - Répondre -

Re:


Oui, Sartre est un être sensuel. Il est laid bien sûr, mais il a montré par cent fois, dans La Nausée, dans Les mains sales, dans Huis clos, dans Les mouches, bref son théâtre, et dans L'existentialisme est un humanisme, il a montré que tout son être et tout son style, profondément laids, violents, intolérants, un style fougueux et direct, un style à première vue dépourvu de tout sens de l'esthétique, il a montré que ce caractère amer qui rend les livres et les gens laids, c'était parfois de la sensualité réelle, de la spontanéité impressionnante, et de l'élégance. (Hm, tu habites vraiment en Bosnie-Herzégovine, ou tu veux juste percer à jour ma naïveté trop irrécupérable ?)

Oblivion - 05.02.06 à 19:34 - # - Répondre -

Je pense que si il y a bien quelquechose qui ne s'apprend pas, et donc pour laquelle il n'y a pas d'école, c'est bien l'élégance.

Personnellement, d'un point de vue tout à fait sujectif, je ne trouve pas qu'être élégant c'est rentrer dans le moule ...

Quant à Sartre, je partage totalement ton avis.

Louise - 05.02.06 à 21:43 - # - Répondre -

Re :

Oui, c'est un avis totalement subjectif et définitif basé sur un jugement de valeur du mot "école", ou du mot "moule". Moi, quand je disais moule, ou école, je ne les prenais pas dans leur sens péjoratif, car l'ancrage dans un moule ou dans une école est un passage inévitable. On vit de toute façon dans une société, et la vie sociale de tout individu est faite d'options qu'on n'est pas seuls à prendre, c'est ainsi. ça se passe comme dans le menu d'un restaurant. Ce ne sont pas des options qu'on invente, mais que la société nous soumet. Ainsi, toute attitude sociale s'apprend : il existe des écoles pour l'élégance, il existe des écoles pour la fumisterie, il existe aussi des écoles pour ceux qui n'en veulent pas. Le reste n'est l'affaire que d'une hiérarchisation des écoles : certaines écoles mènent le jeu, d'autres sont marginalisées. L'élégance, qui est avant tout un choix social, s'affirme et s'inspire d'une ambiance toute intellectuelle que lui procure la fac. C'est pour ça que je disais : la fac, c'est l'arène de l'élégance, son centre d'impulsion, le lieu suprême où elle peut s'exprimer et se dilater.

Oblivion - 06.02.06 à 11:05 - # - Répondre -

Re: Re :

"L'élégance, qui est avant tout un choix social"

L'élégance, dans ce contexte, c'est le bon goût intellectuel. Qu'est ce que le bon goût ? C'est la valeur commune, c'est l'adhésion au patrimoine culturel : je suis donc d'accord, à ce moment là, pour dire que cela s'apprend. En effet, rien n'est plus facile que d'avoir du bon goût si cela revient à être un perroquet.

Quant aux écoles-machines qui nous conditionnent et carburent à la reproduction sociale ; oui en effet, c'est un phénomène courant. Bien que je pense pas que toute attitude sociale s'apprend et je fais confiance à l'homme pour se détacher de ces déterminismes, parfois oppressants. Sartre avait non seulement de l'élégance, mais en plus, sur ce coup là, je trouve qu'il avait raison. L'homme est libre, et malgré tous les conditionnements dont nous sommes victimes, il sait accepter, refuser ; il ne se soumet pas, il choisit.

Louise - 06.02.06 à 21:45 - # - Répondre -

Re: Re: Re :

Mais justement toute la question est là : l'homme est libre, je l'ai toujours pensé, mais il s'agit d'une liberté conditionnée. Je ne parlais pas d'écoles machines ni de perroquets. Je parlais d'options, de centres d'impulsion (la fac). L'homme ne se soumet pas, je suis d'accord, mais il n'invente rien non plus. En tout cas, il n'invente rien seul. De même qu'au restaurant, on n'invente pas les menus. Toutes les attitudes sociales sont le fruit d'une coopération, la preuve : tu dis "on accepte ou on refuse", or, on accepte ou on refuse toujours par rapport à quelqu'un, ou quelque chose.

Pour toute volonté de prolonger ce débat, écrire à albertine_disparue@hotmail.fr
Je ne voudrais pas transformer cette partie du blog en forum philo, non mais ^^

Oblivion - 07.02.06 à 13:52 - # - Répondre -

Re: Re: Re: Re :

Débat, qui ma foi ne manque pas de piquant. Et j'ajouterais : le fait que l'homme veuille être libre ou élégant prouve par là même son attachement à la société, ou à un groupe d'individus. On ne peut pas le nier.

Voilà voilà, chère Oblivion, mon pseudo n'a rien de véridique mais le choix du pseudo était sans intention derrière... Auf wiedersehen !

Citoyen de Bosnie-Herzégovine - 07.02.06 à 14:39 - # - Répondre -

étre elegant n'est pas donné a tout le monde

L'elegance est l'apannage de l'ame sensuel et artistique;donc soit on est élegant ou...

majid - 03.03.06 à 01:45 - # - Répondre -

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