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Fin des transactions marchandes

Pure et brave

Mais pas de quoi s'exciter non plus

- Si je savais, reprit Rosenthal, qu'une seule de mes entreprises doive m'engager pour la vie et me suivre comme une espèce de boulet ou de chien fidèle, j'aimerais mieux me foutre à l'eau. Savoir ce qu'on sera, c'est vivre comme les morts. Vous nous voyez, dans les quarante ans, dirigeant une vieille Guerre Civile, avec les sales gueules de vieillards que nous aurons, façon Xavier Léon et Revue de Métaphysique !... Une belle vie, ce serait une vie où les architectes construiraient des maisons pour le plaisir de les abattre, où les écrivains n'écriraient des livres que pour les brûler. Il faudrait être assez pur, ou assez brave, pour ne pas exiger que les choses durent...
- Il faudrait, dit Laforgue, être absolument délivré de la peur de mourir.
- Pas de romantisme, dit Bloyé, ni d'angoisse métaphysique. Nous ferons des projets de revue et nous avons des conversations élevées parce que nous n'avons ni femmes ni argent ; il n'y a pas de quoi s'exciter. D'autre part, il faut faire des choses, et on les fait. Ce ne sera pas toujours des revues.
- Si on allait boire, dit Pluvinage.
- Allons, dit Jurien.

(Nizan, La Conspiration)



Avoir des conversations élevées. Je vais rencontrer les amis de Pierre le week-end prochain, et il faudra que je m'y prépare. Il seront méprisants, comme je m'y attends. La dernière fois, ils me posaient une sorte de "quizz littéraire - littérature latine et grecque", et je pensais : "Moi, si je leur posais des questions sur la littérature contemporaine..." Mais je ne le ferai pas, par respect pour Pierre. Pierre pense que si je n'exprime aucun enthousiasme à les rencontrer, c'est parce que je n'ai aucun sentiment. Mais c'est faux : du sentiment, pour lui, j'en ai, ils sont insolites, et c'est bien parce que c'est lui que je ne fais pas de scandale. Pierre est un ami, et on fait tout pour un ami. Mais avoir un ami est-ce s'engager et traîner derrière soi une espèce de boulet ? Moi, je serais incapable de dire à quelqu'un "Toi tu es mon ami", sans sous-entendre "Je te rendrai des services, à toi". Si je dis à quelqu'un qu'il est mon ami, et que je ne lui rends pas de service, c'est que lors de ma déclaration d'amitié je n'étais pas sincère. Je suis comme ça : des amis j'en ai peu, mais quand j'en ai je suis incapable de ne pas être fondamentalement gentille. Y aller ne m'apportera rien. Mais ne pas y aller aura des conséquences graves et définitives. Pierre me disait : "Brunot trouve que tu corresponds, et Pascal dit que tu es trop jeune. Mais autrement, il faut savoir que même si c'est sélectif, tu ne seras jamais placée sur le haut du pavé : ils sont comme ça, ils veulent avoir des fans choisis, et ils auraient horreur d'être les idoles de pauvres types incultes. Mais à moi, ils n'ont rien dit : je suis leur ami d'enfance. S'ils redemandent à te voir, c'est que ça a marché. Ce n'est pas une révolution qu'on mène. On conserve juste des valeurs oubliées." Je comprends pourquoi il a laissé tomber la prépa, laissé tomber Ulm puis avoir repris le concours par des détours fantaisistes. Avoir ce genre d'amis ça apprend à ne pas être ambitieux.

12h40. Sur le pavé, des moineaux. Des centaines et des centaines de moineaux. Des moineaux intellectuels. Les uns ressemblant à Brunot répétant : "Ovide, exilé par Auguste, Ovide, exilé par Auguste." Des chewing-gums collés sur les trottoirs par centaines, des chats assis sur les grillages et les bouts de détritus tombant dans les égoûts. L'illusion tout d'un coup d'être impliquée dans cette vitalité, ces mouvements, ces données de l'extérieur. ça c'est la différence visible à l'oeil nu entre ce qui se passe sur le trottoir quand il n'y a personne, et l'idéal poussé à l'extrême de jeunes intellos, disant que ce qui serait bien c'est de raser l'humanité. Non, mais il ne faut pas de romantisme, le romantisme, c'est la facilité. C'est le détachement de soi et de tout ce qui peut être réel. Idée que je lancerai à Brunot, et qui l'épatera certainement : pourquoi donc, puisque le conflit réside dans l'attachement de soi aux individus, pourquoi donc ne pas apprendre aux êtres à donner tout pareillement à des êtres qui leur sont chers, et à des êtres qui leur sont indifférents ? Après tout, c'est d'abord réussir à cette équité universelle : trop de sentiments tuera le sentiment. Le communisme est d'abord une abstraction de sentimentalité dans le quotidien.


Mise à jour : Lundi 13 Février 2006, 13:34
Oblivion le 10.02.06 à 22:18 dans Augenblick
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Commentaires

Matriochka=Marie, tu peux donc me débloquer sur MSN !

Tu devrais déposer des copyright sur certaines de tes phrases.

Matriochka - 11.02.06 à 09:42 - # - Répondre -

Re:

Qu'est-ce que tu me veux, à la fin ? J'ai du mal à comprendre. A moins que tu aies la mémoire courte et que tu ne retiennes de ce que je te dis que la part agréable et inoffensive. Voilà ce que je n'aime pas chez toi : tu es tellement, et bêtement, accessible de tous côtés, n'importe qui pourrait être toi, je ne vois aucune différence entre toi et la concierge de mon immeuble. Maintenant nous sommes dans une phase où tu n'as même plus besoin de me prouver le contraire. Ce commentaire doit n'attirer aucune réponse. ça serait injuste de la part de n'importe qui.

Oblivion - 11.02.06 à 11:33 - # - Répondre -

Re: Re:

D'accord, comme tu voudras, seulement c'est amusant : lorsque tu ignorais que je me dissimulais sous le pseudo Matriochka pour poster des commentaires, ton ego était flatté, tu me disais d'une voix mielleuse et gonflée d'orgueil "merci, ça fait plaisir", comme si personne auparavant ne visitait ton blog et que ce commentaire était presque le fruit d'une erreur. Maintenant que tu sais que c'est moi, tu trouves le moyen de m'envoyer paître : de la part de quelqu'un de cultivé, cela m'étonne. Ta réaction n'est au fond pas plus intelligente que la concierge de ton immeuble. Tu caches bien ton jeu !

Matriochka - 11.02.06 à 12:43 - # - Répondre -

Re: Re: Re:

Eh bien, oui qu'est-ce que tu veux que je te dise. Quand on me flatte, je remercie. Et alors ? Notice à moi-même dans vingt ans : "Ne plus être polie avec des inconnus, ou des gens qu'on pensait être des inconnus, ou des demi-inconnus, ils se retourneront toujours contre vous."

Oblivion - 11.02.06 à 12:48 - # - Répondre -

Re: Re: Re: Re:

C'est ça, fais toi passer pour une martyre. Tu es incroyable de mauvaise foi.

Matriochka - 11.02.06 à 16:50 - # - Répondre -

Lol. Ce blog commence a etre de plus en plus amusant.

Platonistyle - 11.02.06 à 16:14 - # - Répondre -

Re:

Un jour, je classerai peut-être les commentaires récents par rubriques. Je pourrais faire quelque chose comme "Marie / Maternelle". Parce que se désigner soi-même comme dissimulatrice, avoir été rembarrée un mois auparavant et poster  quand même des commentaires sur le blog des gens pour leur dire "Tu vois ! Tu as été flattée !" en vue de les choquer, alors que visiblement être flattée par des commentaires flatteurs revient du domaine du naturel, je ne sais pas, mais c'est digne d'être raconté dans une quelconque chronique. Je te fascine donc à ce point ?

En fait je ne comptais plus répondre, mais visiblement je ne suis ni une stoïque (ni Marc-Aurèle).

Oblivion - 13.02.06 à 12:27 - # - Répondre -

Re: Re:

Je commence à comprendre pourquoi tu tapais sur le système de Julien.

Matriochka - 15.02.06 à 22:14 - # - Répondre -

Re: Re: Re:

Sans doute ! Je n'en sais rien. Mais ça, ma belle, ça vaut aussi pour toi. La différence c'est que "je ne commence pas à le comprendre", je l'ai toujours compris.

Oblivion - 16.02.06 à 11:12 - # - Répondre -

Re: Re: Re: Re:

Moi de même, c'était une façon de parler.

Matriochka - 16.02.06 à 11:26 - # - Répondre -

Mais y'a pas de quoi s'exiter non plus.

Anonyme - 12.02.06 à 11:12 - # - Répondre -

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